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Discours sur la misère, V Hugo, 9 juillet 1848
Victor Hugo a été élu à l'assemblée législative. Il a prononcé un
discours en faveur de lois sociales. Ces lois devaient organiser la
prévoyance (protection sociale) et l'assistance publique.
Je ne suis pas, messieurs, de ceux qui croient qu'on peut
supprimer la souffrance en ce monde ; la souffrance est une loi divine;
mais je suis de ceux qui pensent et qui affirment qu'on peut détruire la
misère.
Remarquez-le bien, messieurs, je ne dis pas diminuer, amoindrir,
limiter, circonscrire, je dis détruire. La misère est une maladie du corps
social comme la lèpre était une maladie du corps humain ; la misère
peut disparaître comme la lèpre a disparu. Détruire la misère ! Oui,
cela est possible ! Les législateurs et les gouvernants doivent y songer
sans cesse ; car, en pareille matière, tant que le possible n'est pas fait,
le devoir n'est pas rempli.
La misère, Messieurs, j'aborde ici le vif de la question, voulez-
vous savoir où en est la misère ? Voulez-vous savoir jusqu'où elle peut
aller, jusqu'où elle va, je ne dis pas en Irlande, je ne dis pas au Moyen-
Age, je dis en France, je dis à Paris, je dis au temps où nous vivons?
Voulez-vous des faits ? [...]
Voici donc ces faits.
Il y a dans Paris, dans ces faubourgs de Paris que le vent de
l'émeute soulevait naguère si aisément, il y a des rues, des maisons,
des cloaques, où des familles, des familles entières, vivent pêle-mêle,
hommes, femmes, jeunes filles, enfants, n'ayant pour lits, n'ayant pour
couvertures, j'ai presque dit pour vêtements, que des monceaux infects
de chiffons en fermentation, ramassés dans la fange du coin des
bornes, espèce de fumier des villes, où des créatures humaines
s'enfouissent toutes vivantes pour échapper au froid de l'hiver.
Voilà un fait. En voulez-vous d'autres ? Ces jours-ci, un homme,
mon Dieu, un malheureux homme de lettres, car la misère n'épargne
pas plus les professions libérales que les professions manuelles, un
malheureux homme est mort de faim, mort de faim à la lettre, et l'on a
30 constaté, après sa mort, qu'il n'avait pas mangé depuis six jours.
Voulez-vous quelque chose de plus douloureux encore? Le
mois passé, pendant la recrudescence du choléra, on a trouvé une
mère et ses quatre enfants qui cherchaient leur nourriture dans les
débris immondes et pestilentiels des charniers de Montfaucon.

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