Il
Saia
Ubu Roi (II, 5)
Une caverne dans les montagnes.
Le jeune BOUGRELAS entre suivi de ROSEMONDE.
Bougrelas.-Ici, nous serons en sûreté.
La Reine.-Oui, je le crois ! Bougrelas, soutiens-moi! Elle tombe sur la neige.
Bougrelas.
-Ha! qu'as-tu, ma mère ?
La Reine. Je suis bien malade, crois-moi, Bougrelas. Je n'en ai plus que pour deux heures à
vivre.
Bougrelas. Quoi ! le froid t'aurait-il saisie?
La Reine. Comment veux-tu que je résiste à tant de coups ? Le roi massacré, notre famille
détruite, et toi, représentant de la plus noble race qui ait jamais porté l'épée, forcé de t'enfuir
dans les montagnes comme un contrebandier.
Bougrelas. Et par qui, grand Dieu ! par qui ? Un vulgaire Père Ubu, aventurier sorti on ne
sait d'où, vile crapule, vagabond honteux ! Et quand je pense que mon père l'a décoré et fait
comte et que le lendemain ce vilain n'a pas eu honte de porter la main sur lui.
La Reine.- Bougrelas ! Quand je me rappelle combien nous étions heureux avant
l'arrivée de ce Père Ubu ! Mais maintenant, hélas ! tout est changé !
Bougrelas. Que veux-tu ? Attendons avec espérance et ne renonçons jamais à nos droits.
La Reine.-Je te le souhaite, mon cher enfant, mais pour moi je ne verrai pas cet heureux
jour.
Bougrelas.-Eh! qu'as-tu ? Elle pålit, elle tombe, au secours ! Mais je suis dans un désert!
O mon Dieu! son coeur ne bat plus. Elle est morte ! Est-ce possible?
Encore une victime du
Père Ubu! Il se cache la figure dans les mains et pleure. O mon Dieu ! qu'il
est triste de se
voir seul à quatorze ans avec une vengeance terrible à poursuivre! Il tombe en
proie au
plus
violent désespoir. Pendant ce temps les Ames de Venceslas, de
Boleslas, de Ladislas, de
Rosemonde entrent dans la grotte, leurs Ancêtres les accompagnent et remplissent la grotte.
Le plus vieux s'approche de Bougrelas et le réveille doucement.
Bougrelas.-Eh! que vois-je ? toute ma famille, mes ancêtres... Par quel prodige?
L'Ombre. Apprends, Bougrelas, que j'ai été pendant ma vie le seigneur Mathias de
Königsberg, le premier roi et le fondateur de la maison. Je te remets le
soin de notre
vengeance. Il lui donne une grande épée. Et que cette épée que je te donne
n'ait de
repos que
quand elle aura frappé de mort l'usurpateur.
Tous disparaissent, et Bougrelas reste seul dans l'attitude de l'extase

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