Frères de combat
À la fin de la guerre de 1914, un juge, ancien officier, vient interroger Morlac, un
soldat emprisonné qu'un chien suit fidèlement. La scène se situe au début du roman
I ui [Morlac] aussi, à l'évidence, était marqué par la guerre. Quelque
chose, dans sa voix, disait qu'il était désespérément sincère. Comme si
la certitude de mourir bientôt, éprouvée jour après jour au front, avait fait
fondre en lui toutes les coques du mensonge, toutes ces peaux tannées que la vie, les épreuves, la fréquentation des autres déposent sur la vérité
chez les hommes ordinaires. Ils avaient cela en commun, tous les deux,
cette fatigue qui ôte toute force et toute envie de dire et de penser des
choses qui ne soient pas vraies. Et, en même temps, parmi ces pensées,
celles qui portaient sur l'avenir, le bonheur, l'espoir étaient impossibles à formuler car aussitôt détruites par la réalité sordide de la guerre. Si bien
qu'il ne restait que des phrases tristes, exprimées avec l'extrême dépouil-
lement du désespoir.
– Il a suivi. [...]
- Il y a longtemps qu'il vous suit, ce chien? [...]
- Il m'a suivi quand les gendarmes sont venus me chercher pour la guerre.
- Racontez-moi ça.
- Si je fume.
Le juge fouilla dans son gilet et sortit un paquet
de cigarettes chiffonné. Morlac en alluma une avec le briquet d'amadou² que lui avait tendu l'officier. Il souffla
la fumée par le nez, comme un taureau furieux. [...]
- Vous étiez le seul qu'ils devaient ramener ?
- Bien sûr que non. Il y avait déjà trois autres
conscrits³ avec eux. Je les connaissais de vue. Les gendarmes m'ont fait monter dans leur carriole et on
est allés en ramasser trois autres de plus.
- Et le chien ?
- Ensuite, vous êtes allés vers le front?
- Je suis resté six mois à faire du ravitaillement. On n'était pas en
première ligne mais il arrivait qu'on s'en rapproche beaucoup et les obus
faisaient souvent du dégât.
- Le chien était toujours avec vous ?
- Toujours.
- Ce n'est pas banal.
- Ce n'est pas un chien banal. Même dans les coins les plus ravagés, il
arrivait à trouver de quoi manger. Surtout, il savait y faire avec les gradés.
La plupart des chiens ont fini par avoir des problèmes. Il y en a même qui
ont été carrément éliminés à coups de fusil parce qu'ils piquaient dans les réserves. Je ne sais pas
où vous étiez mais vous avez dû voir ça aussi.
Dans les discussions de tranchées, il arrivait ainsi que l'on oublie les
grades. Cela ressemblait plutôt à ces parties de cartes où le cantonnier
interpelle le notaire, sans que personne ne s'en offusque. Dans cette cel-
lule, le juge restait juge, il rédigeait soigneusement son procès-verbal mais
l'interrogatoire était aussi une conversation entre camarades que la mort
rendrait bientôt égaux.
- J'ai passé la plus grande partie de la guerre avec les Anglais dans la
Somme, dit le juge.
- Il y avait des chiens?
– Quelques-uns. D'ailleurs, quand on m'a chargé de votre affaire, j'ai
tout de suite pensé à plusieurs de mes hommes, qui s'étaient attachés
à leur animal au point de ne pouvoir supporter la guerre que grâce à sa
présence. Ils avaient fini par les considérer comme des frères de combat.
4. ouvrier chargé
de l'entretien des
routes et de leurs
bordures.
1 Quels sont les effets de la guerre sur chaque personnage et sur leurs relations? Faites une réponse argumentée
sloven citant le texte.
2 L. 2 à 10: qu'est-ce qui caractérise la construction des phrases? Quel effet cela produit-il ?
3 Ce récit peut-il être considéré comme un documentaire ? Citez le texte à l'appui de votre réponse.
4 Quel(s) rôle(s) les chiens jouaient-ils dans les tranchées ? Expliquez.

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