(1981)
M. LE GARDE DES SCEAUX. Partout, dans le monde, et sans aucune exception, où
triomphent la dictature et le mépris des droits de l'homme, partout vous y trouvez
inscrite, en caractères sanglants, la peine de mort. [...]
Voici la première évidence dans les pays de liberté, l'abolition est presque
partout la règle ; dans les pays où règne la dictature, la peine de mort est partout
pratiquée.
Ce partage du monde ne résulte pas d'une simple coïncidence, mais exprime
une corrélation. La vraie signification politique de la peine de mort, c'est bien
qu'elle procède de l'idée que l'État a le droit de disposer du citoyen jusqu'à lui
retirer la vie. C'est par là que la peine de mort s'inscrit dans les systèmes
totalitaires.
C'est par là même que vous retrouvez, dans la réalité judiciaire, et jusque dans
celle qu'évoquait Raymond Forni¹, la vraie signification de la peine de mort. Dans
la réalité judiciaire, qu'est-ce que la peine de mort ? Ce sont douze hommes et
femmes, deux jours d'audience, l'impossibilité d'aller jusqu'au fond des choses et
le droit, ou le devoir, terrible, de trancher, en quelques quarts d'heure, parfois
quelques minutes, le problème si difficile de la culpabilité, et, au-delà, de décider
de la vie ou de la mort d'un autre être. Douze personnes, dans une démocratie,
qui ont le droit de dire celui-là doit vivre, celui-là doit mourir ! Je le dis : cette
conception de la justice ne peut être celle des pays de liberté, précisément pour ce
qu'elle comporte de signification totalitaire.
Quant au droit de grâce, il convient, comme Raymond Forni l'a rappelé, de
s'interroger à son sujet. Lorsque le roi représentait Dieu sur la terre, qu'il était
oint2 par la volonté divine, le droit de grâce avait un fondement légitime. Dans une
civilisation
, dans une société dont les institutions sont imprégnées par la foi
religieuse, on comprend aisément que le représentant de Dieu ait pu disposer du
droit
de vie ou de mort. Mais dans une république, dans une démocratie, quels
que soient
ses mérites, quelle que soit sa conscience, aucun homme, aucun
pouvoir ne
saurait disposer d'un tel droit sur quiconque en temps de paix.
Robert Badinter, Discours pour l'abolition de la peine de mort

s'agit-il d'une argumentation directe ou indirecte ?

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